dimanche 9 décembre 2018

Péché originel: L'homme de la modernité se veut résolument innocent


C’est peut-être tout le sens de ce récit des origines que nous offre la Genèse.  On a beaucoup glosé, surtout depuis saint Augustin, sur le « péché originel ». À bien lire l'évêque d'Hippone, on s'aperçoit que cette idée de péché originel, de chute, de discordium malum, ne conduit pas forcément à considérer l'homme comme un éternel coupable ni à se flétrir soi-même dans une repentance mortifiée.  Il veut dire que tout homme doit regarder en face la part de mal qui est en lui; le mal virtuel dont il est possiblement capable au-delà même du permis et du défendu.  Cette lucidité ne lui fera pas seulement comprendre la nécessité de la grâce.  Elle le détournera aussi de cette haine vertueuse qui rejette sur autrui tout le malheur du monde.
Cette interprétation du concept de péché originel nous aide à comprendre que toute revendication d'innocence est mécaniquement meurtrière.  Si je m'affirme innocent, si je clame mon appartenance au Bien, alors le mal ne peut être que chez l'autre.  Cet autre que je serai tenté d'éliminer.  Les fanatiques sont convaincus d'être « innocents » bientôt « martyrs ». C'est ainsi qu'ils justifient leurs crimes. 
Mais on peut élargir Ie propos.  Tout un pan du discours contemporain est construit autour de l'idée d'innocence, indéfiniment revendiquée et martelée.  L'homme de la modernité se veut résolument innocent.  Dans ses désirs.  Dans ses pulsions.  Dans ses convoitises.  L'esprit moderne se moque du prétendu dolorisme chrétien. À ses yeux, le « péché originel » n'était qu'une invention cléricale pour empêcher l'homme de jouir et d'être heureux.  On préfère revendiquer aujourd'hui - comme un droit - la transgression et le refus de toute culpabilité.  Or on voit bien jusqu'où peut conduire ce prurit d'innocence: à la haine de l'autre.  Tout simplement.

Cette dérive donne sérieusement envie de réhabiliter, contre vents et marées, l'idée de péché originel.  Comme l'appel à une modestie fondatrice et fraternelle.  Comme la reconnaissance de la complexité de l'autre et le refus de l'intolérance pharisienne.  Surtout comme un élément central de la Bonne Nouvelle qui illumine nos vies : à savoir que, dans l'incarnation et la résurrection du Christ, le mal universel trouve, y compris en nous-mêmes, les prémices de sa défaite finale.  Un auteur polonais contemporain, Leszek Kolakowski, ancien marxiste revenu au christianisme, a d'ailleurs écrit des choses admirables sur cette question du péché originel et sur la présence du mal : «Jésus nous a recommandé de commencer par éliminer le mal en nous-mêmes et non de tuer d'autres hommes que nous consi-dérons à tort ou à raison comme mauvais. »

L'essayiste Marcel Gaucher assure quant à lui que le prétendu «recul » du religieux n'en est pas forcément un.  Tout dépend de l'angle de vue qu'on choisit. « Le paradoxe de la situation où nous sommes, écrit-il, est que le détrônement des religions de leur position de commandement leur restitue un nouveau rôle.  Bien sûr, leur autorité sociale a considérablement décru, mais, dans le même temps, leur capacité d'être entendues, y compris par des gens qui ne relèvent en rien de leur famille spirituelle, s’est accrue. » 

M. Albert, J. Boisonnat , M. Camdessus  « Notre Foi dans ce siècle » de Michel ALBERT, Jean BOISSONNAT, Michel CAMDESSUS Ed. Arléa, 2002, p.41

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