Voir: http://www.lavie.fr/spiritualite/temoins/le-parcours-de-foi-d-une-victime-d-un-pretre-pedophile-pour-retrouver-dieu-19-04-2017-81524_688.php
Parce qu'elle a subi l'agression répétée d'un homme d'Église, Véronique
Garnier a vacillé dans sa foi. Elle nous raconte comment, sans perdre
de vue ni Jésus ni l'Esprit saint, elle renoue petit à petit avec Dieu.
L'abus sexuel est une explosion intérieure
Au-delà de la
blessure physique et psychique, c'est ma vie spirituelle qui a éclaté.
Je vis avec une foi abîmée depuis ce 20 avril 1975, où un homme qui
célébrait la messe, qui sanctifiait les offrandes de ses mains, a posé
ces mêmes mains sur moi alors que j'avais un peu plus de 13 ans. Ce
prêtre, par ses gestes, a sali les sacrements qu'il a pu me donner et a
volé ma relation à Dieu. À 15 ans, je lui ai imposé de ne plus me
toucher. Plus tard, étudiante, m'est venue une question : voulais-je
encore être chrétienne ? J'ai choisi d'avoir une vie de foi pleine et
entière, mais je ne me suis plus retrouvée dans l'Église.
L'Esprit saint m'a guidée
Je l'ai découvert dans la
communauté du Chemin neuf, que j'ai commencé à côtoyer à Lyon en 1982.
Je venais pour suivre une formation de trois mois, j'y suis restée 30
ans. J'y ai rencontré mon mari, et nous avons longtemps vécu en «
fraternité de vie » avec d'autres familles. Nous avons eu huit enfants,
et j'ai beaucoup aimé m'occuper d'eux. Je vivais pleinement mon rôle de
mère au foyer, heureuse, alors qu'une partie de moi était morte,
ensevelie.
Par miracle, je n'ai jamais cessé de prier Jésus
On dit que la
Trinité, ce n'est pas découper Dieu en trois ; pourtant, cette
séparation entre Dieu, Jésus et l'Esprit saint a été mon salut. En
colère contre le Père, j'ai gardé le Christ près de moi. Même dans les
années de doute – notamment quand, en 2009, je n'ai plus trouvé ma place
au Chemin neuf ou, en 2010, quand les scandales de pédophilie dans
l'Église ont fait remonter mon traumatisme –, j'ai continué à aller à la
messe le dimanche. Souvent, je me tenais au fond de l'église, sans
pouvoir ni parler ni chanter. Je ne désirais que recevoir l'hostie.
Jésus était alors en moi, c'était un acte, je le voyais. Les paroles
autour ne me rejoignaient plus, je ne les croyais plus. Mon tourment
était permanent : la confiance étant rompue envers les prêtres, je
craignais que la célébration ne soit que du théâtre, et que Jésus me
soit « volé » sans que je le sache.
Mon chemin est long, pourtant il est extraordinaire
L'impossible s'y produit. La transformation, presque miraculeuse,
s'opère jusque dans mon lien à Jésus. Longtemps, à Pâques, je descendais
aux enfers avec Lui. Je le rejoignais dans sa souffrance, je le suivais
sur son chemin de croix. Mais la Résurrection était pour le fils de
Dieu, pas pour moi... Il y a trois ans, à mi-parcours dans mon travail
spirituel avec Mgr Blaquart, lors de la lecture de la Passion, j'ai
senti que Jésus s'est approché de moi, est descendu dans mon abîme, a
partagé ma souffrance. Alors seulement j'ai compris qu'il venait, Lui,
me relever. Ce 20 avril, 39 ans jour pour jour après que ma vie eut
basculé, j'ai été bouleversée : la mort, inscrite en moi, était
entraînée dans la Résurrection.
Dans mon histoire, la relation à Dieu comme Père a été la plus abîmée
Enfant, on m'a appris que Dieu était tout-puissant et qu'Il m'aimait.
J'ai prié pour que le cauchemar cesse, mais ça ne s'arrêtait pas. Je
comprends aujourd'hui que Dieu nous a créés libres et que si l'on veut
faire le bien, alors Il est tout-puissant ; sinon, Il perd tout pouvoir
face au choix de l'homme de faire le mal. Je me suis sentie abandonnée
par Dieu si longtemps que revenir à Lui n'est pas facile. Si je me suis
toujours confessée régulièrement, par devoir, je ne me suis plus confiée
à partir du jour où un prêtre m'a refusé l'absolution quand j'ai laissé
éclater ma colère contre Dieu. Aujourd'hui, en me laissant exprimer ma
douleur envers le Père, Jacques Blaquart me permet de renouer une
relation avec Lui. En m'écoutant, sans me juger, il m'offre la
possibilité d'entrer dans une démarche de pardon avec Dieu.
Depuis que j'ai commencé à être ressuscitée, je me « réapproprie » la Parole de Dieu, c'est-à-dire que je la rends propre.
Aimant la prière ignatienne, je lis la Bible tous les matins
Elle est un appui fort. Depuis que j'ai commencé à être ressuscitée, je
me la « réapproprie », c'est-à-dire que je la rends propre, et je la
fais mienne de nouveau. La Parole de Dieu porte en elle les clés de mes
avancées. Dernièrement, un texte d'Isaïe m'a fendu le cœur. Dieu parle
au peuple et lui dit :
« Un court instant, je t'ai abandonné, mais dans ma grande tendresse, je te rassemblerai. »
J'ai lu des dizaines de fois ces mots et, l'an dernier, c'était comme
si j'entendais une ouverture au dialogue de la part de Dieu envers moi,
une promesse.
La parole – tout comme la Parole – libère réellement
Comme
beaucoup de victimes d'un prêtre, j'ai écrit à Rome. J'ai raconté la
profondeur de la veillée de demande de pardon et de réparation organisée
avec l'évêque Blaquart et d'autres victimes en octobre 2016. Ce
jour-là, mes larmes ont coulé avec celles de personnes de l'Église, nous
avons dépassé les paroles creuses. Ensemble, ces pleurs ont lavé le
passé et sont féconds pour l'avenir.
Rome m'a répondu en écho à ces
larmes, par une invitation à regarder celles de Jésus au tombeau de
Lazare. Cette lettre m'a rappelé combien je me suis sentie dans ce
tombeau, mais aussi qu'il est entouré de personnes qui proclament, en
voyant Jésus :
« Voyez comme il l'aimait. » Alors, un peu comme
Lazare, je suis en train d'être relevée de la prison de mon passé.
Parfois, lorsque, avec Jacques Blaquart, j'exprime ma souffrance, il me
confie que cela lui est douloureux. Je souris et je lui réponds :
« Alors, peut-être êtes-vous vraiment mon prochain ? » Alors peut-être, par sa considération envers moi, je peux dire que je redeviens enfant de Dieu.
Propos recueillis par Sophie Lebrun publié le 19/04/2017