samedi 24 novembre 2018

Les limites de l'économie antisociale de marché

Comme Robert Reich et comme beaucoup d'autres, nous pensons qu'ainsi réduite à une pure caricature du libéralisme l'économie antisociale de marché va dans le mur pour reprendre l'expression de Reich lui-même, elle correspond à un «capitalisme de l'âge de pierre ». Non seulement elle lamine les classes moyennes, mais elle détruit à terme le pacte minimal sur lequel toute société est fondée.
À la limite, elle sape les fondements sociétaux qui rendent possible le fonctionnement du marché lui -même. 

L'argent peut être une drogue qui rend esclave

« Le capitalisme n'a pu fonctionner, notait le philosophe Cornélius Castoriadis, que parce qu'il a hérité d'une série de types anthropologiques qu'il n'a pas, et n'aurait pas pu créer lui-même : des juges incorruptibles, des fonctionnaires intègres et wébériens, des éducateurs qui se consacrent à leur vocation, des ouvriers qui ont un minimum de conscience professionnelle, etc.  Ces types ne surgissent pas et ne peuvent pas surgir d'eux-mêmes ; ils ont été créés dans des périodes historiques antérieures, par référence à des valeurs alors consacrées et incontestables : l'honnêteté, le service de l'État, la transmission du savoir, la belle ouvrage, etc. »

Les dérives du modèle anglo-saxon menacent donc aujourd'hui le capitalisme lui-même.  C'est l'idée qui émerge, compris y parmi les plus ardents défenseurs de l'économie de marché.  Réduite à elle - même, la société de marché est nécessairement de plus en plus anxiogène, parce qu’elle fonctionne uniquement à la drogue du profitOr la drogue est un désir toujours insatisfait, toujours avivé par les stimulations de la publicité et des médias, une drogue dont le besoin, loin d'être comblé par l'abondance, se renouvelle et s'aiguise sans cesse.  

 
La voie préconisée par
l'Evangile pour
trouver le bonheur

Un test, réalisé récemment sur les quatre cents premières fortunes américaines par le magazine Forbes, montrait que les aspirations à l'enrichissement suivaient la courbe des fortunes.  L'argent agit comme une drogue qui doit être administrée par dose de plus en plus fortes pour produire le même effet.  C'est pourquoi l'un des inspirateurs de Tony Blair, Peter Mandelson, a pu parler d'une joyless growth, une croissance sans joie. 
« Notre Foi dans ce siècle » de Michel ALBERT, Jean BOISSONNAT, Michel CAMDESSUS Ed. Arléa, 2002  page 113

mardi 20 novembre 2018

Histoire: Juifs et musulmans en Espagne au XVI° siècle



 "Mais, pour eux, le problème n'était pas uniquement politique : il ne s'agissait pas seulement d’institution.  Une question plus délicate existait, qui mettait en cause la contexture même de leur peuple, rien de moins que la fameuse question des minorités ethniques que tant d'Etats, de nos jours, ont vu se poser à eux dramatiquement.

  L'Espagne, en effet, renfermait un certain nombre d'éléments qui faisaient mal corps avec son véritable peuple.  D'abord des Juifs; il y en avait beaucoup, - « un tiers des citadins et marchands de Castille », écrit Vincenzo Quirini, ambassadeur vénitien; - ils étaient riches, gagnant énormément à prêter de l'argent à des taux usuraires qui allaient jusqu'à 40 % et leur luxe était insolent.  

Maints s'étaient Convertis surtout lors des grandes missions apostoliques de saint Vincent Ferrier.  Et dans quelques cas, cela constituait un enrichissement.  Mais, tous étaient-ils très sincères?  Trop n'avaient demandé le baptême que par ruse ou par peur, tout en demeurant Juifs de foi et souvent de secrètes pratiques; le peuple les surnommait « Marranos » par un jeu de mots qui rappelait tout ensemble l'hébreu Maran atha » (« le Seigneur vient ») et le castillan - por-tugais «marrano » qui signifiait goret. 


L'infiltration des Marranos dans les rangs chrétiens aboutissait aux contaminations les plus étranges ; il y en avait jusque dans le haut clergé, qui se cachaient à peine.  Ne racontait-on pas (mais fallait-il y croire?) l'histoire de cet évêque de Calahorra qui, venu à Rome, faisait gras le vendredi, priait en hébreu selon le rite juif, réclamait de la viande kosher, refusant de prononcer le nom du Christ et battait ses prêtres s'ils s'avisaient de lui faire des remontrances ! Il y avait donc là une menace pour la foi, qui pouvait se laisser pénétrer d'on ne savait quel étrange syncrétisme judéo-chrétien.

Mais à ce péril israélite s'en ajoutait un autre : celui que pouvait constituer la présence de masses d'origine arabe.  Après chaque étape de la Reconquista, il en était de même dans le pays reconquis tels ces musulmans de la région de Barcelone et des Baléares que le Bienheureux Raymond Lulle avait si courageusement cherché à convertir.  La dernière étape, la conquête de Grenade, en allait accroître encore la quantité. 
Et parmi ces résidus de l'ancienne occupation, à côté de ceux qui conservaient, officiellement, leur religion, il y avait aussi tous ceux qui, convertis de plus ou moins bon teint, se proclamaient chrétiens, tout en demeurant en secret fidèles au Coran de leurs pères; on les appelait les « Morisques ». Les Rois catholiques pouvaient-ils laisser se prolonger une situation si équivoque?
(Daniel Rops : L’Eglise de la Renaissance et de la Réforme p. 263, sq)

samedi 17 novembre 2018

Histoire de l'Eglise: la commende et les monastères

Le danger que dénonce saint Bernardin, rien ne le manifeste mieux que le développement que prend alors le désastreux régime de la Commende.  La pratique en était très ancienne : on peut en retrouver les traces jusque dans saint Ambroise et saint Grégoire le Grand.  
Redon - cloître église St-Sauveur

Selon l'intention première, donner un monastère en commende, c'était en confier (commendare) provisoirement l'administration à un séculier, en l'absence du titulaire, avec dispense de régularité.  Mais, avec la constitution progressive du régime des bénéfices ecclésiastiques, la commende était devenue une fructueuse opération pour le titulaire, autorisé à percevoir les revenus afférents à la fonction qu'il exerçait temporairement. 

Du coup, les laïcs s'étaient intéressés à l'affaire: dès l'époque de Charles Martel, on avait vu des Abbés militaires qui touchaient les revenus d'un monastère, sous prétexte d'assumer sa protection.  Puis, la commende, de temporaire était devenue définitive: le « commendataire » encaissait les bénéfices tout le long de sa vie, en faisant exercer les pouvoirs ecclésiastiques par un prieur ou un substitut, qui, canoniquement, y était habilité.  Au cours du XIII° siècle, cette funeste pratique avait déjà gagné beaucoup de terrain: les bénéfices réguliers surtout, abbayes et prieurés, avaient commencé à être mis en coupe réglée.

Les Avellanes (Catalogne)

On imagine sans peine comment la crise du Grand Schisme et les surenchères qu’elle détermine dans les deux camps rend cette pratique à peu près universelle.  En échange de leur serment d'obédience, les princes laïcs se font attribuer par l'un ou l'autre Pape tout ce qu'ils peuvent de bénéfices, abbayes, monastères, revenus épiscopaux, voire simples cures; rien n'échappe à un appétit de plus en plus dévorant.  


Les bénéfices en commende font partie des ressources reconnues des grands; on en voit figurer dans la dot des filles ou donner à des gamins de douze ans.  Le plus étonnant de l'affaire est que tous ces Abbés commendataires ne sont pas mauvais et même que certains lutteront courageusement pour la réforme de leur communauté.  Mais, ordinairement, ils ne songent qu'à tirer le plus de ressources possibles de leurs biens religieux, n'ont aucun souci des biens spirituels, laissent péricliter les âmes.  

En Allemagne, où il y a partout confusion totale entre le commendataire et le titulaire; les laïcs se déclarent princes - évêques ou comtes - abbés, mais ne songent nullement à être prêtres -. on cite le cas d'un évêque de Paderborn, en 1400, qui, tranquillement, se marie. Rien d'étonnant, en de telles conditions, à ce que le clergé, du haut en bas, perde beaucoup de son autorité.

(Daniel Rops : l'Eglise de la Renaissance et de la Réforme. P. 146 sq)
 


René Rémond: Trouver une autre manière de témoigner de l'esprit de partage et de pauvreté.

Un exemple: la manière pour nos sociétés de se situer par rapport à la richesse. Comment remettre en valeur l'esprit de pauvreté, actualiser l'appel à prendre de la distance à l'égard de l'argent? En d'autres temps, l'Eglise a su trouver des réponses adaptées et audacieuses: les ordres mendiants au Moyen Age, les congrégations hospitalières ou enseignantes au XIX° siècle. A chaque fois, il s'agissait de répondre à un besoin social concret: soigner des lépreux, accueillir ou nourrir des pauvres, éduquer des enfants…
 

Aujourd'hui, nous ne sommes plus au Moyen Age, nos sociétés sont ordonnées à la production des richesses, des richesses dont beaucoup profitent, même si existent des zones de pauvreté ou d'exclusion. L'Eglise doit donc trouver une autre manière de témoigner de l'esprit de partage et de pauvreté. Elle le fait déjà quand elle préconise une répartition plus équitable des ressources ou fait campagne pour l'abolition de la dette des pays du tiers-monde; mais cela ne suffit pas! Des applications nouvelles, plus originales doivent être trouvées pour signifier que la recherche du profit, l'accumulation des richesses, ne sont pas les seules valeurs possibles. C'est aussi une manière de témoigner de la grandeur de l'homme que de ne pas se résigner à ce que l'individu soit écrasé par la fatalité économique.


L'homme ne vit pas seulement de pain ou de stock-options, il ne trouvera pas son bonheur ou sa liberté dans la progression du CAC 40! Pour manifester ses valeurs propres, pour réagir à l'idolâtrie de l'argent, le christianisme doit susciter des expressions adaptées, comme l'Eglise a su inventer autrefois le jeûne du vendredi ou la Trêve de Dieu.
René Rémond : "Le Christianisme en accusation" p. 150

dimanche 4 novembre 2018

Pour en finir avec les paradis fiscaux


Les paradis fiscaux sont des centres financiers en extra-territorialité qui attirent les capitaux frauduleux par une fiscalité avantageuse et des garanties de secret bancaire. Ils permettent de blanchir les bénéfices liés aux trafics d’armes et de drogue, à la traite des êtres humains, au commerce de matière nucléaire, de véhicules volés, etc.
La criminalité financière est le dénominateur commun de toutes ces criminalités. En outre, les fortunes cherchent souvent à y échapper au fisc, ce qui aggrave les inégalités sociales et favorise la corruption. Nous sommes donc là devant l’un des plus grands scandales du monde contemporain.
Face au crime mondial, il n’y a encore ni droit mondial, ni justice mondiale, ni police mondiale. Il est urgent d’établir un droit d’ingérence contre la criminalité financière. Si l’opinion publique était informée des sévices invisibles que cette situation facilite, nul doute que les États seraient plus combatifs.
D’après une étude récente du FMI, les actifs internationaux des banques de ces centres atteignent environ cinq mille milliards de dollars en croissance de 6 % par an de 1992 à 1997. Bien que tous ces actifs ne soient pas de nature suspecte, on doit mentionner que d’après l’ONU, le commerce de la drogue représente 8 % du commerce mondial, et le « PCB » (produit criminel brut) atteint 15 % du commerce mondial. Une bonne part de ce PCB transite par ces centres.
Dans ce domaine, hélas, l’Europe n’a guère de leçons à donner. 
Les paradis fiscaux y prolifèrent : du Luxembourg à Monaco, des îles Anglo-Normandes au Lichtenstein, Gibraltar ou Saint-Marin. l’Europe doit donc s’engager résolument vers l’élimination des paradis rivaux - à commencer par les siens -, sur la base du concept de l’OCDE qui dresse la liste de quarante-sept régimes fiscaux préférentiels de pays membres comme potentiellement dommageables. L’OCDE est convaincus qu’un dialogue constructif peut s’engager avec la plupart des pays et territoires concernés.
« Notre Foi dans ce siècle » de Michel ALBERT, Jean BOISSONNAT, Michel CAMDESSUS Ed. Arléa, 2002, p. 92