mardi 20 novembre 2018

Histoire: Juifs et musulmans en Espagne au XVI° siècle



 "Mais, pour eux, le problème n'était pas uniquement politique : il ne s'agissait pas seulement d’institution.  Une question plus délicate existait, qui mettait en cause la contexture même de leur peuple, rien de moins que la fameuse question des minorités ethniques que tant d'Etats, de nos jours, ont vu se poser à eux dramatiquement.

  L'Espagne, en effet, renfermait un certain nombre d'éléments qui faisaient mal corps avec son véritable peuple.  D'abord des Juifs; il y en avait beaucoup, - « un tiers des citadins et marchands de Castille », écrit Vincenzo Quirini, ambassadeur vénitien; - ils étaient riches, gagnant énormément à prêter de l'argent à des taux usuraires qui allaient jusqu'à 40 % et leur luxe était insolent.  

Maints s'étaient Convertis surtout lors des grandes missions apostoliques de saint Vincent Ferrier.  Et dans quelques cas, cela constituait un enrichissement.  Mais, tous étaient-ils très sincères?  Trop n'avaient demandé le baptême que par ruse ou par peur, tout en demeurant Juifs de foi et souvent de secrètes pratiques; le peuple les surnommait « Marranos » par un jeu de mots qui rappelait tout ensemble l'hébreu Maran atha » (« le Seigneur vient ») et le castillan - por-tugais «marrano » qui signifiait goret. 


L'infiltration des Marranos dans les rangs chrétiens aboutissait aux contaminations les plus étranges ; il y en avait jusque dans le haut clergé, qui se cachaient à peine.  Ne racontait-on pas (mais fallait-il y croire?) l'histoire de cet évêque de Calahorra qui, venu à Rome, faisait gras le vendredi, priait en hébreu selon le rite juif, réclamait de la viande kosher, refusant de prononcer le nom du Christ et battait ses prêtres s'ils s'avisaient de lui faire des remontrances ! Il y avait donc là une menace pour la foi, qui pouvait se laisser pénétrer d'on ne savait quel étrange syncrétisme judéo-chrétien.

Mais à ce péril israélite s'en ajoutait un autre : celui que pouvait constituer la présence de masses d'origine arabe.  Après chaque étape de la Reconquista, il en était de même dans le pays reconquis tels ces musulmans de la région de Barcelone et des Baléares que le Bienheureux Raymond Lulle avait si courageusement cherché à convertir.  La dernière étape, la conquête de Grenade, en allait accroître encore la quantité. 
Et parmi ces résidus de l'ancienne occupation, à côté de ceux qui conservaient, officiellement, leur religion, il y avait aussi tous ceux qui, convertis de plus ou moins bon teint, se proclamaient chrétiens, tout en demeurant en secret fidèles au Coran de leurs pères; on les appelait les « Morisques ». Les Rois catholiques pouvaient-ils laisser se prolonger une situation si équivoque?
(Daniel Rops : L’Eglise de la Renaissance et de la Réforme p. 263, sq)

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