mercredi 8 août 2018

La vocation est un mot qui fait peur

Le jeune dominicain du Caire, auteur de la pièce Pierre et Mohamed, retrace sa quête de la vie véritable qui l'a conduit jusqu'à l'ordre des Frères prêcheurs. Son témoignage nous prépare à vivre la Journée mondiale de prière pour les vocations du 22 avril. (La Vie, 5 avril 2018)

La vocation est un mot qui fait peur. Elle n'est pourtant que l'autre nom de la vie spirituelle, de la vie chrétienne, de cette vie tout court à laquelle Dieu veut nous appeler pour notre plus grande joie. À chacun la sienne, donc, unique et singulière. Le drame est de renoncer à la trouver par confort et conformisme. Ou par crainte de devoir étouffer ce que nous avons dans le cœur pour suivre la volonté de Dieu, qui nous serait extérieure. Mais notre désir le plus profond, le plus vrai, c'est celui-là même que le Seigneur a déposé en nous le jour où il nous a créés. Sa volonté est que nous fassions la nôtre ! Encore faut-il découvrir ce que nous voulons vraiment, et ne pas nous laisser distraire par des envies plus superficielles. C'est une belle aventure, que j'ai moi-même parcourue avant de devenir dominicain.

Je devais avoir 9 ou 10 ans quand l'Évangile m'est apparu comme une Bonne Nouvelle à prendre au sérieux. 

« Si Dieu existe, c'est quand même une sacrée histoire ! Il mérite bien qu'on lui consacre sa vie »
, ai-je pensé. Je me souviens d'avoir lancé un soir, alors que nous étions réunis autour de la table familiale, ce que je croyais être la conséquence logique de mon petit raisonnement : « Je pense devenir prêtre. » Cette annonce a jeté un tel froid que je n'ai plus abordé le sujet à la maison jusqu'à mes 23 ans, quelques semaines seulement avant d'entrer au noviciat... Mes parents ne pratiquaient pas, et l'un comme l'autre accordait à sa manière peu d'importance à ces questions. En envoyant leurs deux enfants au catéchisme – cette pratique encore traditionnelle allait bientôt s'effondrer – ils étaient loin d'imaginer que le cadet y nourrirait des ardeurs sacerdotales... Mais j'ai aimé cette relative clandestinité, qui me faisait aller en cachette à la messe en semaine (le dimanche, j'avais le droit) pendant mon adolescence : à chacun ses rébellions !

Être prêtre, pourtant, cela ne m'allait pas tout à fait.

 J'aspirais aussi, confusément, à quelque chose de plus radical, qui me paraissait exister dans la vie monastique. Mais à la réflexion, l'idée de vivre à l'écart du monde ne me disait trop rien. Je voulais pouvoir conjuguer la radicalité du moine et les contacts humains du prêtre. Il faudrait inventer cela, me disais-je, avant de découvrir vers l'âge de 13 ans, dans un manuel d'histoire du Moyen Âge qui relatait la fondation des Frères prêcheurs (ou Dominicains), que cela existait déjà. Je me suis tout de suite senti à la maison ! Une familiarité qui s'est confirmée au fil de mes rencontres avec des figures remarquables de dominicains : Fra Angelico, Savonarole, Las Casas... Et surtout Lacordaire. Ce jeune avocat, promis à un bel avenir dans le Paris des années 1830, s'était converti en lisant Génie du christianisme, de Chateaubriand. Son entrée au séminaire n'avait pas amené Lacordaire à renier les idéaux de la Révolution avec lesquels il avait grandi. Au contraire ! Plutôt que de vouloir remonter le temps, comme bien des catholiques éprouvés par les persécutions révolutionnaires, il voulait simplement prêcher le Christ à ses contemporains. Et, dans cet esprit, refonder en France l'ordre des Dominicains.

Fréquenter Lacordaire, dont j'approuvais la démarche, m'a permis d'assumer paisiblement ce que beaucoup qualifiaient de contradictio


et qui, toute mon adolescence, a été source de questionnement, d'énervement, mais aussi de croissance : j'ai grandi dans un monde marqué à gauche, très peu religieux, mais dont les aspirations et les générosités ne me semblaient pas contraires à l'Évangile, loin s'en faut. Je pouvais être disciple du Christ sans renier le milieu dont je venais, et où je me sentais bien.

« Au cœur de tout, il y a la parole. Ce sera la politique ou les Dominicains. » 

Sortie de la bouche d'un jeune de 16 ans, cette phrase définitive a fait sourire le prêtre qui m'accompagnait. Et pourtant, ces deux voies qui s'ouvraient devant moi m'attiraient autant l'une que l'autre. Je me suis d'abord lancé dans le militantisme politique, parallèlement à l'École normale supérieure, où j'étudiais l'histoire, et à Sciences Po. Tout le monde me savait catholique et cela donnait lieu à de vraies discussions et des témoignages de foi. Il m'est aussi arrivé de claquer des portes... Je sentais à quel point la politique – et d'abord mon ambition – pouvait être envahissante. Je m'efforçais de ne pas sacrifier pour elle l'essentiel, par exemple l'amitié. Ainsi, j'ai su décliner la proposition d'une personnalité politique éminente de l'accompagner en voyage quelques jours. Cette belle occasion de faire connaître mes talents m'aurait obligé à annuler une semaine de vacances avec deux amis de longue date, prévue depuis longtemps. Mon refus m'a quelque peu surpris, mais je me suis senti si libre !

Bien m'en a pris car avec mes deux amis non croyants, nous avons passé nos vacances à parler de Dieu. 

De retour en France, je me suis rendu à l'évidence : la parole qui me rendait profondément heureux était celle de Dieu, non le discours ou le verbiage politique. Trois mois après, je débarquais au noviciat des Dominicains, à Strasbourg, pour discuter de ma vocation avec le père-maître des novices. J'avais 23 ans. Le fruit était mûr. Je n'avais plus de raison d'attendre : il fallait choisir. En errant seul sur les canaux de la vieille ville, j'ai compris que ce qui me retenait de choisir la vie religieuse, c'était surtout l'attrait du confort, de la reconnaissance et de la notabilité. En septembre, j'entrais au noviciat et allais bien vite me rendre compte que vivre sa vocation, c'est partir à l'aventure. Et pour cause : si l'on m'avait dit qu'un jour, on m'enverrait au Caire pour travailler sur une religion qui n'est même pas la mienne... Dieu réserve toujours de joyeuses surprises !


Ce témoignage est d'Adrien Candiard

Article tiré de  l'hebdomadaire "La Vie" "Les essentiels" (La Vie du 5 avril 2018 n°3788)
Voir: http://www.lavie.fr/spiritualite/temoins/adrien-candiard-vivre-sa-vocation-c-est-partir-a-l-aventure-04-04-2018-89230_688.php

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