mercredi 17 octobre 2018

Isabell Camborde, aiguilleuse du ciel

Dans la tour de contrôle de l'aéroport de Roissy, cette laïque consacrée aiguille ses collègues vers le Ciel. Une trajectoire fixée à 25 ans après quelques turbulences.

« Vous voulez faire rire le bon Dieu ? Alors parlez-lui de vos projets ! » Comme il est vrai ce trait d'humour de Nicolas Buttet, prêtre et fondateur de la fraternité Eucharistein ! J'ai lutté pendant des années contre l'idée de devenir « bonne sœur ». Et pourtant... depuis plus de 10 ans, je suis laïque consacrée au sein de la communauté de l'Emmanuel. Ma joie, chaque jour nouvelle, est de m'être entièrement donnée à Dieu en m'engageant, au cœur du monde, dans le célibat pour le Royaume. Quelle grâce, en effet, de pouvoir vivre son métier comme une mission ! Le mien est passionnant : en tant que contrôleur aérien à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, mon travail est de guider les avions afin qu'ils ne soient pas deux à se retrouver à la même altitude, au même endroit, au même moment. De plain-pied dans ce milieu professionnel plutôt masculin et peu chrétien, j'essaie d'être un signe de contradiction et d'indiquer le Ciel à mes collègues. Comment annoncer l'amour de Dieu ? Le Seigneur, lui, ne brusque jamais la liberté des hommes. Il fait preuve de patience et de douceur. Ainsi s'y est-il pris avec moi pour m'aiguiller vers le célibat consacré.

À la ferme familiale où j'ai grandi, dans un village près de Lourdes (Hautes-Pyrénées), nous ne parlions pas de Dieu. Mais d'aussi loin que je me souvienne, le Christ m'a toujours attirée. Vers l'âge de 10 ans, j'avais déniché, dans le grenier, un Évangile de saint Jean. Comme une enfant, je lisais et relisais, le soir avant de m'endormir, le récit de la Passion en espérant que, cette fois-ci, Jésus descendrait, victorieux, de la Croix, ou que Pilate choisirait de le relâcher à la place de Barabbas ! Alors que, passé la première communion, ceux de mon âge désertaient la messe, moi, j'y suis restée fidèle. Quand je pouvais, je filais à la grotte de Lourdes. Je ne priais pas, mais me laissais bercer par la présence maternelle de Marie que je pressentais déjà. J'admirais des parents qui tenaient leur enfant au petit corps déformé. Ils ne venaient pas réclamer un miracle, mais mendier la force de tenir un an de plus dans l'épreuve. « Que c'est beau d'avoir la foi ! », me disais-je.

« Isabelle, elle finira bonne sœur ! », lançait-on parfois dans le village avec un certain mépris. Dans ces milieux ruraux où l'on parle peu de soi, il est souvent plus facile de commérer sur le voisin... J'entendais la critique et, subrepticement, s'est infiltrée puis imposée en moi l'idée, terrifiante, qu'une religieuse était une personne inutile qui n'avait pas réussi à se marier car « trop moche» ! J'ai ainsi vécu toute mon adolescence écartelée et tiraillée entre une soif immense de Dieu et une peur tenace qu'il me prenne tout. Je refusais de m'ouvrir sur ces pensées à quiconque, à commencer par Dieu et par moi-même. Pendant mes classes préparatoires scientifiques, comme pour étouffer l'appel, j'ai mené une vie étudiante festive, arrosée, et me suis évadée dans des activités un peu extrêmes, seule, en montagne et sur les crêtes. Le ciel, l'altitude, les sommets des Pyrénées me fascinaient. D'où, peut-être, mon rêve de devenir pilote de ligne puis contrôleur aérien.

Quel choc de rencontrer des chrétiens souriants, joyeux et fiers de leur foi, des attitudes si nouvelles pour la sauvage que j'étais ! 

Dans ce véritable combat de Jacob, j'ai cru prendre pour de bon le dessus le jour où j'ai intégré l'École nationale de l'aviation civile (Énac), à Toulouse. La formation étant rémunérée, les étudiants s'engagent à travailler 10 ans dans la fonction publique. Je pensais donc avoir gagné la partie n'imaginant pas, à l'époque, qu'on pouvait conjuguer présence au monde et consécration au Christ. Mais le prix à payer de cette apparente victoire était une grande tristesse et solitude. Je m'étiolais. L'été 1999, sur les conseils d'un ami, j'ai atterri à Paray-le-Monial en plein forum des jeunes de la communauté de l'Emmanuel. Quel choc de rencontrer des chrétiens souriants, joyeux et fiers de leur foi, des attitudes si nouvelles pour la sauvage que j'étais ! La source de leur joie m'a été révélée lors d'une confession : la miséricorde du Seigneur. L'expérience de celle-ci s'est traduite par un incroyable sentiment de liberté et, le lendemain même, par le don de la prière. J'ai su qu'il me fallait changer de vie. Le Christ étant Celui qui me rendait heureuse, je devais le laisser vivre en moi.

Quand on Lui ouvre une brèche, Dieu s'y engouffre volontiers, y compris là où l'on préférerait qu'il n'entre pas ! Ainsi de ma question de vocation... Le silence dans lequel je l'avais terrée a éclaté l'été suivant quand je suis retournée à Paray. Au cours d'une veillée, les consacrés ont été invités à rejoindre le podium. « Vous m'avez fait peur, j'ai cru que vous alliez monter, vous aussi ! », m'a glissé une dame assise à côté de moi.

À ma réponse un peu sèche, elle a conclu : « Oui, c'est comme moi, ce doit être trop tard. » Je n'ai plus rien dit de la soirée, mais sa réflexion m'a travaillée. Cette quadragénaire célibataire ne semblait pas heureuse et je me suis dit qu'à 20 ans, elle avait peut-être entendu aussi l'appel, mais qu'elle ne l'avait pas creusé. De retour chez moi, j'ai pris la décision d'avancer : « Seigneur, tout ce que tu veux, mais je te préviens : je ne serai pas sœur ! » J'ai répété cette prière plusieurs soirs de suite et, très vite, Dieu m'a fait comprendre qu'il savait bien mieux que moi le chemin qui ferait mon bonheur. Alors, dans les larmes, j'ai baissé les armes : « Mon Père, je m'abandonne à toi, fais de moi ce qu'il te plaira. Tu as gagné, mais en échange, donne-moi la joie. » Il a tenu parole comme jamais je n'aurais pu l'imaginer 

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